Les nouvelles générations dans le service public: un compte rendu de notre soirée du 23 mai 2018 à l'IDHEAP

flyer nouvelles générations

Intégrer et motiver les nouvelles générations à s'engager dans la fonction publique est un enjeu essentiel pour assurer une relève de qualité dans nos institutions. Le staatslabor avait invité des spécialistes des RH dans le service public ainsi que des représentants de cette nouvelle génération d'employés de l'Etat le mercredi 23 mai à l’Institut des Hautes Etudes en administration publique (IDHEAP), pour tenter comprendre si les milléniaux abordent ou non le travail dans l’administration de façon différente des générations qui les précèdent. Et comment cette même administration se modifie sous l’effet de cette relève et des nouvelles technologies.

Les nouvelles recrues de l’administration voient-elles leur carrière d’un autre œil que leurs aînés? Elles y trouvent en tous les cas d'autres sources de motivation. C’est ce que montre le travail de recherche d’Armand Brice Kouadio, doctorant et assistant de recherche à l’IDHEAP, qui se penche sur la question de l’engagement des agents publics. Il présentait ses résultats lors d’un événement qui rassemblait plusieurs experts pour débattre de la question des nouvelles générations dans le secteur public, organisé par le staatslabor le mercredi 23 mai au soir sur le campus de l'Université de Lausanne.

«Pendant longtemps, on entrait dans l’administration en pensant qu’on y ferait toute sa carrière, c’est de moins en moins le cas», a-t-il commencé. Le chercheur s’est intéressé à 2000 milléniaux actifs dans l’administration suisse – séparés en deux vagues, âgées de 18 à 29 ans et de 30 à 39 ans – les questionnant sur les raisons de leur engagement. L’autonomie dont jouit un employé, l’équipe avec laquelle il collabore, la qualité de l’organisation où il travaille et la hiérarchie sont autant d'«ancres de carrière», c'est-à-dire les valeurs essentielles sur la base desquelles un individu va fonder ses choix d'évolution au cours d'une carrière professionnelle.

Première constatation de la part du chercheur, les deux vagues de milléniaux ont montré des résultats similaires et ne sont pas clairement différentiables. La recherche a permis de découvrir de nouvelles «ancres» comme l’impact sociétal ou social d’une activité, qui donne un sens à l'activité, ou le fait d’avoir du temps pour faire un travail de qualité, «contrairement au privé, qui, sans tomber dans le cliché», représente l’une des remarques régulièrement formulées par les personnes interrogées.
Les deux catégories d’âge se distinguent en revanche nettement des autres générations en cela qu'elles attachent davantage d'importance au développement personnel dans leur travail, leur carrière et au sein de leur équipe. Pour Armand Brice Kouadio, ces éléments sont importants, car ils peuvent «être intégrés à la boîte à outils des responsables des ressources humaines» et être utilisés dans le recrutement, par exemple, pour «attirer des employés épousant les valeurs et buts organisationnels de la structure» ou dans le développement des carrières.

Des résultats confirmés lors du panel de discussion qui a suivi la présentation du chercheur. Une représentante de l’administration fédérale a ainsi constaté que «l'administration ne se préoccupait que peu du développement des carrières des jeunes générations, étant surtout focalisée sur le fait que le travail actuel soit fait de la meilleure manière possible». Elle a également constaté que le télétravail, qui est souvent une option privilégiée des jeunes, est une option dont il est, dans la pratique, très difficile de profiter car contraignante à mettre en oeuvre. Un point de vue nuancé par un autre expert, issu d’une administration cantonale, qui a réalisé un projet pilote pour mieux flexibiliser le travail. L’une des mesures: la fin du timbre systématique au profit d’un simple décompte des heures. Cette petite révolution a été très bien vécue dans le service, a-t-il précisé, ainsi que d'autres mesures parallèles donnant plus de liberté aux employés. 
 
Les jeunes générations sont-elles vraiment différentes de leurs aînés? Invitée à parler de sa longue expérience avec les agents publics en France, Françoise Waintrop a clairement montré ses doutes en la matière. Chargée de mission Innovation à l’Ecole nationale d’administration française (ENA), elle a estimé que «peu importe l’âge». «Un jeune peut être vieux dans sa tête. Il faut surtout savoir se décadrer», a ajouté celle qui a également été cheffe de projet Nudge au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP).

Le défi de la relève dans le secteur public prend en effet une forme quelque peu différente en France. Françoise Waintrop a soulevé le problème de l’homogénéité des étudiants de l’ENA «choisis par concours et qui reproduisent ainsi le conformisme de leurs prédécesseurs». L’arrivée des nouvelles technologies ne modifie pas cette tendance: «On utilise des outils numériques mais cela ne change pas les mentalités, qui restent très classiques, notamment parce que les milieux sociaux d’où proviennent les étudiants sont toujours les mêmes», a-t-elle regretté. Elle a souligné les bonnes intentions du Plan Borloo pour créer une académie des leaders dans les banlieues afin de leur former et les intégrer dans l’administration, mais qui n’a pas fonctionné comme espéré. Une difficulté à laquelle la Suisse échappe, l’origine sociale des recrues n’étant pas aussi homogène et leur formation, généralement plus variée, ne les formatant pas autant.