Comment la blockchain va-t-elle transformer les services aux citoyens? C’est la question autour de laquelle s'est réuni un groupe composé de plusieurs des plus grands experts suisses de cette technologie ainsi que des représentants du secteur public, invité à la discussion par le staatslabor.
Pour le Professeur Dirk Helbing (Chair of Computational Social Science, ETH Zurich), la création de nouvelles crypto-monnaies liées à certains défis rencontrés par l’Etat (par exemple en matière d'énergie, de déchets ou d'emploi) permettrait à ce dernier d’atteindre ses objectifs de façon plus efficace à travers la mise en place de politiques d’incitation: ainsi, par exemple, un citoyen ayant une production de déchets limitée se verrait rémunéré au moyen de l'une de ces crypto-monnaies, alors qu'un autre moins attentif devrait acquérir les crédits manquants au prix fort (voir aussi le projet Nervousnet).
Luka Müller, avocat et partenaire de l'étude MME, a présenté sa vision pour une digitalisation complète du droit des sociétés, depuis l'émission d'actions sur la blockchain jusqu'à la digitalisation des registres. Ces changements permettraient l'avènement de nouvelles plate-formes d'échange, similaires à des bourses, pour les actions non cotées.
Finalement, pour Patrick Allemann, co-fondateur de la société LegalHub, chaque personne aura dans le futur son propre clone digital, qui l'accompagnera au long des différentes phases de son existence et auquel seront rattachés tous les services publics dont elle est bénéficiaire. Ainsi, une fois l'âge de la majorité atteint, un token de vote pourra être adressé automatiquement aux citoyens. Et, au moment du décès (constaté par une personne dûment autorisée), le registre des personnes sera actualisé en temps réel et les différents services ad hoc seront automatiquement notifiés.
Ces différents éclairages, renforcés par des prises de position des autres experts présents (Johannes Höhener, Directeur de la Digital Business Unit de Swisscom, Gonzalo, Casas, chercheur ETH dans le domaine de l'Internet des objets Pierre-Edouard Wahl, spécialiste Blockchain Crédit Suisse) ont ouvert un débat qui a permis aux représentants du secteur public présents (l'architecte IT de la Confédération Uwe Heck, une représentante des services sociaux de la Ville de Zurich, Vanessa de Vries, ainsi qu'un collaborateur de l'Office fédéral de l'environnement, Daniel Zürcher) de mieux comprendre le potentiel disruptif de la technologie blockchain dans leurs domaines de compétence respectifs.
Au total, ce sont 7 thèmes qui ont été identifiés comme étant les plus prometteurs:
- implémentation plus efficace des politiques publiques
- amélioration du système de distribution des prestations sociales
- simplification de processus dans l'administration
- digitalisation des actions de sociétés non cotées
- augmentation de la résilience des systèmes étatiques
- identité digitale
- changements législatifs (ex. définition de la notion de crypto-propriété)
Avant la mise en place d'applications blockchain à grande échelle, une série d'adaptations seront toutefois nécessaires. En effet, cette technologie ne pourra être implémentée au niveau étatique qu'après l'avènement d'une identité digitale officiellement reconnue. Les participants au groupe d'échange avaient des avis divergents quant à qui revenait l'autorité en matière d'identité digitale: cela doit-il être du ressort de la Confédération, ou le rôle de l'Etat est-il plutôt de reconnaître une série de fournisseurs d'identité déjà existants aujourd'hui? Au delà de l'identité, des adaptations légales seront également nécessaires: en particulier, la propriété des biens digitaux est une notion qui devra encore être définie. Finalement, un important effort d'information reste à effectuer au sein de l'administration avant que des premiers projets blockchain ne puissent être mis en place: car force est de constater que la thématique n'est encore que très peu présente dans les agendas publics, poussant certains intervenants de la soirée à souligner l'urgence d'agir, car de nombreux autres pays sont déjà passés à la création de prototypes concrets dans des domaines variés (par exemple pour leur registre foncier, registre du commerce, ou encore en matière de votations).
Au cours des prochains mois, le staatslabor va continuer sa démarche et approfondir les thèmes mentionnés plus haut, créant différents groupes de travail réunissant des experts issus des secteurs public et privé, avec pour but de parvenir à la création d'un ou de plusieurs prototypes permettant de comprendre les défis de l'implémentation de projets blockchain à grande échelle de façon plus directe et concrète.
Antoine Verdon dirige le groupe de travail "Blockchain & Government" de staatslabor. Il est actif dans l'écosystème blockchain depuis 2012, d'abord comme investisseur, puis comme entrepreneur en tant que co-fondateur de LegalHub, une entreprise mettant des outils à disposition de ses clients pour la création de smart contracts. Antoine conseille également plusieurs startups et commente régulièrement les évolutions technologiques dans les médias suisses.